Existe-t-il un plus grand peintre que Velázquez ?
Diego Velázquez, peintre espagnol qui vécut au XVIIème siècle, pensait que la peinture et l’art étaient supérieurs à toute autre activité humaine. Et il le démontre dans Las Hilanderas, tableau conservé au Museo del Prado à Madrid, qui est un exemple parfait de méta-peinture, un véritable objet qui pense…
Le tableau a en effet trois niveaux de lectures qui ne sont liés par aucune unité de lieu ou de temps. Ce sont trois scènes distinctes qui racontent un tout.
Tout au fond, le sujet principal et résultat de l’épisode ici narré : Athéna et Arachné lors du défi lancé par la déesse à la jeune mortelle réputée pour être meilleure tisseuse que la fille de Zeus. Elles se tiennent devant la tapisserie qui remporte le défi (celle d’Arachné) et représentant l’enlèvement d’Europe (directement inspirée par le tableau du Titien). Vexée par la victoire d’Arachné, Athéna la transforme en araignée, condamnée à tisser jusqu’à la fin des temps. Sur le plan du milieu, des femmes de la haute société observent la scène. Au premier plan les fileuses à l’ouvrage nous sont découvertes par une femme écartant un lourd rideau rouge. Le cœur de l’action et le véritable sujet de l’œuvre se trouvent au fond, au troisième plan. Ce n’est pas une scène de genre, et le rideau est là pour nous rappeler que nous voyons un espace qui est celui de la pensée.
Comme toujours, Velázquez nous livre une peinture savante, aux interprétations multiples et aux sources toujours issues de l’érudition. Il nous montre les différentes étapes de la réalisation, qui sont aussi le cheminement vers la connaissance symbolisé par les escaliers séparant les espaces de représentation. Il bouleverse les codes de la narration, poussant le spectateur à s’interroger sur le rapport entre la matière (le fil) et la forme finale (la tapisserie), donc à l’alchimie présente à l’accomplissement de l’art. Il nous livre également des éléments de sa grande connaissance et de sa filiation aux grands maîtres de la peinture : la tapisserie évoquant le Titien, les deux fileuses du premier plan reprenant les poses de deux importantes figures de la Chapelle Sixtine de Miquel Ange, la référence aux Parques, divinités tissant les fils de la destinée…
Velázquez nous saisit par les jeux de son intelligence artistique et le génie de ses compositions. Il démontre que la peinture est un art au dessus de tous les autres, une suprématie qu’il veut afficher et revendiquer.
Personnellement, je ne crois pas qu’il existe plus grand peintre que Velázquez…
Ignudi de la Chapelle Sixtine, Miquel Ange, vers 1510, Le Vatican, Rome