La Pythie de Marcello au Palais Garnier
Ceux qui sont allés voir le deuxième opus des Animaux Fantastiques au cinéma dernièrement reconnaîtront cette sculpture qui apparaît comme un passage secret vers le monde magique. Bien sûr, cette sculpture ne se trouve pas du tout au pied d’un escalier à Montmartre mais bien dans le foyer des abonnés du Palais Garnier. Cette sculpture, réalisée par Marcello pour le Salon de 1870, représente La Pythie, oracle du temple d’Apollon à Delphes. Le seul élément qui nous permet d’identifier ce personnage est le trépied sur lequel elle est assise. En effet, la Pythie de Delphes rendait ses oracles depuis son trépide. Même si le sujet paraît classique, rien dans le traitement n’évoque l’Antiquité. Le visage est bien loin des canons classiques dans son travail expressif : angle prononcé, rictus presque animal... Même les cheveux hirsutes de la devineresse évoquent une sauvagerie lisible dans l’ensemble du corps crispé et tendu. Ici, La Pythie est saisie par l’oracle et la vision. On est bien loin de l’image paisible de la femme habituellement représentée en sculpture. Mais c’est que l’auteur, Marcello, est en réalité une femme, Adèle d’Affry, duchesse de Castiglione. Veuve à 20 ans et riche, elle se tourne vers la sculpture et présente régulièrement des œuvres au Salon où elle est vite démasquée en tant que femme — scandale car la sculpture est une technique associée aux hommes et à la misère et elle n’est ni l’un ni l’autre. Marcello, peu intéressée par la représentation d’une beauté féminine idéale, réalise essentiellement des sculptures de femmes fortes et indépendantes qui, malgré des commandes publiques et une belle représentation dans les musées, restent peu connues. Difficile carrière que celle d’une femme artiste … La Pythie n’a qu’une partie de son corps dénudé par exemple — alors qu’il est courant à l’époque de réaliser des sculptures de femmes nues sous couvert d’allégories ou de sujets mythologiques. Il aurait toutefois été jugé comme indécent qu’une femme représente une autre femme nue. Malgré l’adoption d’un pseudonyme et l’accomplissement d’une production artistique très expressive, Adèle d’Affry s’impose elle-même les limites de son sexe au sein d’une société régie par la pensée masculine. Nous reste, entre autres, cette spectaculaire sculpture monumentale dans laquelle toute la virtuosité expressive de l’artiste a pu se déployer.