Equivalences de Carl André
En 1972, la Tate acquiert l’œuvre Equivalences VIII de Carl André.
La série des Equivalences consiste en des agencements de briques industrielles formant des rectangles au sol. Carl André définit ses sculptures comme des « sculptures as a place », c’est-à-dire des sculptures qui sont leur propre lieu, notion qui a donné son titre à l’exposition monographique qui s’est déroulée à la Dia Bacon de New York à la fin 2014. L’achat de cette œuvre par la Tate souleva de nombreuses polémiques, le musée, ainsi que Carl André, furent attaqués dans la presse. L’artiste n’ayant rien fait lui-même, pourquoi payer si cher pour quelques briques ?
Ces réactions violentes s’expliquent certainement par l’aspect totalement mutique de ces œuvres, ce sont des œuvres qui ne racontent rien, elles ne sont que des présences brutes et silencieuses dans un espace donné.
Dans la continuité des questionnements soulevés par Marcel Duchamp en 1917, Carl André soulève, comme tous les artistes de l’art minimal, la question du savoir-faire, de la virtuosité et de leur présence conditionnelle à la légitimité de toute œuvre d’art à se faire appeler ainsi. Si l’artiste n'apporte rien de lui-même dans l’œuvre, rien qui le différencie du commun des mortels, alors s’agit-il d’une œuvre d’art ? Et l’art doit-il être un bel objet qui nous fait communier dans une reconnaissance collective d’un plaisir de contemplation ? Et d’ailleurs s’agit-il d’art ou d’histoire de l’art et de la pensée ?
Dans les années 2000, un collectif d’artistes français, Claire Fontaine, s’est saisi du travail de Carl André. Ce collectif s’appuie sur le travail de Marcel Duchamp, et plus particulièrement sur ses ready made, objets manufacturés réifiés par l’artiste. Il travaille sur le détournement et le partage de la propriété intellectuelle. En 2007, il reprend Equivalences de Carl André, et compose un rectangle au sol composé de briques brutes, mais cette fois enveloppées dans des couvertures de livres (Folio). Il transforme les briques muettes en mots, réintroduisant la narration dans une forme d’art qui ne veut rien exprimer. On peut aussi y voir une référence aux “pavés” que représentent certains de ces livres.
Pour une œuvre mutique, elle fait beaucoup parler d’elle…