L'émotion du cubisme
On a beaucoup dit que le cubisme était une nouvelle façon de voir et de représenter le réel, un même objet vu sous ses différents angles à la fois — car un objet n’est pas seulement une vision unique d’un point de vue unique, qui serait réducteur de cette réalité.
Certes, mais pas que. Enfin, l’art ne sert pas uniquement à « représenter » le monde dans un soucis de mimétisme et même si l’ancrage se fait dans le réel, l’art est à la recherche de quelque chose de plus, il nous parle du monde, il est le monde. Et c’est pourquoi il nous touche tant. Le cubisme, c’était aussi et surtout une recherche de nouvelles solutions picturales, c’était une « abstraction non abstraite », c’est-à-dire un point de départ réel qui est ensuite modelé comme une matière première pour aboutir à une nouvelle forme de représentation, libérée du souci de ressemblance et de reconnaissance. L’objet devient sujet, le monde devient sujet d’une création qui semble lui tourner le dos.
En 1907, Picasso atomise le monde de l’art avec Les Demoiselles d’Avignon. Je ne vais pas revenir sur cette œuvre emblématique sur laquelle on a déjà tant écrit. Il réalise de multiples études autour de ce tableau. Parmi elles, un sublime Buste de femme, que vous pouvez admirer au Centre Georges Pompidou. Cette femme de trois quarts dos semble perdue dans un monde qui n’est plus le nôtre. Sans avoir l’agressivité visuelle des Demoiselles, elle est faite de courbes et de tons sourds, tout en annonçant ce qui vient avec la série de hachures sur les cheveux et le nez. Ce nez en « quart de brie » dont l’ombre structure la forme en se débarrassant du traité traditionnel pour le modelé, annonce clairement que désormais seule la peinture compte. Et pourtant l’émotion est toujours là…